Pourquoi employons-nous tant d’effort à être aimé ?

18 juin 2024

Etre aîmé, un sentiment universel

Nous vivons dans ce monde en nous attendant à être considéré, respecté, estimé, … à être connu, attendu, invité, etc. Autant d’adjectifs et d’appellations pour illustrer notre besoin d’être aimé.

En effet, qui ne veut pas l’être : être aimé ?

Ce désir, aux intensités variables nous pousse à manifester toutes sortes de comportements, des plus altruistes aux plus égoïstes ; et les poètes, les philosophes et autres spécialistes nous en ont proposé les interprétations depuis l’aube de l’humanité.

Lorsque nous ne nous sentons pas reconnu, estimé et apprécié, nous souffrons. En réponse à quoi nous connaissons tristesse, déception, mélancolie, dépression, colère, rébellion, vengeance, manipulation, etc.

Ce besoin d’être aimé a d’ailleurs été identifié par Abraham Maslow dans ses recherches pour expliquer les besoins et les désirs liés au comportement humain. Hiérarchisés en 1954 sous la forme d’une pyramide des besoins, les besoins d’appartenance sociale (avoir des amis, recevoir de l’affection, être accepté) se situent après des besoins primaires du type se nourrir, se vêtir, être à l’abri, etc.

Un besoin initié et conditionné à la naissance

La façon d’exprimer ce besoin et de le ressentir se joue très tôt dès la naissance. Ainsi, les recherches menées par John Bowlby dans les années 40 sur des nourrissons et des adolescents l’ont conduit à conclure à la nécessité fondamentale, pour ne pas dire vitale, de vivre pour le bébé humain ses premiers jours au monde au contact de son parent (sa mère en particulier).

Mère serrant son enfantEn effet, privé de contact, notamment au cours des six premiers mois suivant sa naissance, les bébés observés présentaient des troubles comportementaux. A l’inverse, élevé dans un lien permanent, affectueux, au contact du parent, l’enfant grandissait en développant son autonomie de façon plus sereine et adaptée.

Bowlby J. en a tiré un concept : la théorie de l’attachement. L’enfant selon le contexte de ses premières années de vie va développer un « style d’attachement » qu’il cherchera à reproduire inconsciemment dans ses relations (amis, professeurs, figures d’autorité, amoureuses).

Alors, quel est votre style d’attachement (je t’aime moi non plus, fusionnel, possessif, besoin de proximité, l’intimité vous fait peur)?

Même notre corps recherche l’amour

Des émotions, des sensations et des réactions physiques qui nous dépassent.

Au moment de la rencontre amoureuse, qui voit se manifester une attractivité très forte entre les deux personnes, un état d’euphorie met ces individus sur un nuage, les conduisant à voir le monde à travers le prisme de l’amour où presque tout est tolérable et tout ce que fait son partenaire est délicieux. Nous éprouvons une énergie accrue, un rétrécissement de la concentration mentale, des paumes parfois moites, des étourdissements, un cœur qui s’emballe et de nombreux sentiments positifs.

Notre pensée rationnelle se retrouvent alors brouillée par des émotions, des sensations et des réactions physiques qui nous dépassent.

Thermography d'un baiser entre un homme et une femme.Helen Fisher, anthropologue, après avoir analysée pendant 5 ans des images d’activité cérébrale d’hommes et de femmes amoureux rend compte dans son livre Pourquoi nous aimons? (Éditions Robert Laffont) de ses constations. Elle y affirme que l’amour est un sentiment humain universel, élaboré par certaines substances neurochimiques et certains réseaux cérébraux. Ainsi, le désir serait lié à la testostérone; le sentiment amoureux à la dopamine; et l’attachement (notion vue plus haut), à l’ocytocine et la vasopressine.

Normand Voyer, professeur de chimie à l’Université Laval (Québec) et conférencier, propose de décomposer les phases amoureuses en trois. Chacune associée à des molécules spécifiques.

  • La première serait celle du coup de foudre ou de l’amour passionnel. Elle dure selon lui entre une journée et quatre ans. «Durant cette période, observe le chimiste, quatre neurotransmetteurs prennent notre corps en charge. C’est pourquoi, à cette étape, les amoureux ne sont pas dans un état normal!». Il y a d’abord la phényléthylamine qui induit un sentiment de bonheur et donne l’impression de flotter sur un nuage. Ce neurotransmetteur favorise aussi la production de deux autres molécules: la dopamine qui stimule la transmission nerveuse, améliore l’humeur et suscite l’enthousiasme, et la norépinéphrine qui provoque un sentiment d’euphorie et pousse à faire toutes sortes de folies. À son tour, la norépinéphrine va se transformer en dopamine, la «molécule de l’urgence», qui augmente le rythme cardiaque et la pression artérielle et fait si facilement rougir les amoureux. «Au bout de 18 mois, les concentrations de ces 4 molécules commencent à décliner, continue le chimiste. Si bien que, au bout de quatre ans, il n’y a plus aucune trace d’elles.»
  • A noter ici que tout le monde ne connaît pas cette étape passionnelle. Plusieurs couples accèdent directement à la deuxième phase, qui est celle de l’amour durable. Elle se caractérise par la production d’ocytocine, la fameuse hormone de l’attachement que les femmes sécrètent lors de l’accouchement et quand elles allaitent, et qui est aussi produite au moment de l’orgasme.
  • Troisième phase, chez les couples qui ont plus de 50 ans de vie commune, une dépendance s’installe entre les partenaires. Leur relation devient fusionnelle. Les molécules en cause pendant cette période sont les endorphines, de puissants antidouleurs qui ont un effet positif sur l’an­xiété.

Une autre neurobiologiste, Lucy Vincent, propose même une explication génétique. Dans son ouvrage Comment devient-on amoureux? (Éditions Odile Jacob), elle s’imagine une «influence primitive», constituée de messages chimiques renseignant sur la constitution génétique de l’autre. Ces messages passeraient principalement par notre odeur corporelle, laquelle est liée à nos gènes. Les gènes produisent en effet des protéines qui influent sur notre odeur. Comme l’a illustré une expérience assez connue menée en 1995 par les biologistes Claus Wedekind et Dustin Penn. Les chercheurs ont demandé à des femmes et à des hommes de sentir des tee-shirts imprégnés de sueur. Leur conclusion: nous sommes attirés par les personnes qui ont les gènes HLA (Human Leucocyte Antigen) les plus éloignés des nôtres. Or, les gènes HLA caractérisent notre système immunitaire et plusieurs scientifiques estiment que, plus on mélange ces gènes au sein d’une population, plus on a de chances de créer des combinaisons génétiques avantageuses quant à la résistance immunitaire.

Il est à préciser que ces recherches ont été effectuées au sein d’une population occidentale. Les données ne seraient sans doute pas les mêmes dans des zones géographiques plus éloignées et beaucoup plus marquées par des coutumes culturelles tel que les mariages arrangés (quand ils ne sont pas forcés), les systèmes de castes ou claniques, etc.

Le retour du lien d’attachement

Fort de ce constat, à privilégier un partenaire aux gènes éloignés du nôtres, il n’en reste pas moins que l’assemblage des couples démontrent une grande similarité dans le choix du conjoint. Il s’agit de la notion d’homogamie (être en couple par similarité sociale), un sujet de recherche au sein des sciences sociales depuis les années 70.
D’après une dernière étude, menée à l’Université du Colorado Boulder (Etats-Unis, et publiée dans la revue Nature Human Behaviour (31 juillet 2023), les personnes interrogées présentaient plus de 80% de traits en commun tant physiquement que psychiquement (situation financière, catégorie socio-professionnelle, niveau d’instruction, anxiété, taille des parties du corps, pression sanguine, opinions politiques, etc.).

Pour Lucy Vincent, cette singularité n’est pas neutre et s’accorde avec la thèse qu’elle défend selon laquelle l’odorat joue un rôle dans le choix d’un partenaire qui nous ressemble. En réalité, nous serions séduits par les individus qui nous rappellent nos géniteurs: leurs expressions, un trait physique, le même humour ou la même odeur. Pourquoi? Pour rappel, il existe deux types de relations interpersonnelles indispensables pour la survie et la reproduction: le lien parent-enfant, l’attachement, (sans lequel nous n’aurions pu survivre) et le lien de couple (sans lequel nous n’aurions pas de descendance). Or, ces deux liens impliquent les mêmes mécanismes dans les systèmes nerveux et hormonal, note Lucy Vincent.

Dans un tel contexte, écrit-elle, il n’est pas étonnant d’être attiré par quelqu’un qui fournit des stimulus semblables à ceux de nos parents. CQFD

Conclusion

l’humain vit l’amour et le raconte

Toutefois, toute cette littérature risquerait de nous faire rater l’essentiel. En effet, à trop prendre de la distance sur nos affects en voulant étudier l’aspect mécanique et logique de nos amours la démarche pourrait nous conduire à envisager la rencontre sous l’angle de calculs froids et d’hypothèses de laboratoire. Or, le propos est d’avantage pour confirmer le caractère intrinsèque du sentiment amoureux et du besoin d’être aimé à la nature humaine. Les hormones et les neurotransmetteurs ne sont là que pour confirmer la théorie.

Nous avons besoin de vivre l’attachement avec les autres : nos parents, nos frères et sœurs, nos amis, nos collègues, nos voisins ou nos animaux de compagnie. C’est leur manque, par effet domino sur les hormones qui nous ferons ressentir stress, anxiété, mélancolie, etc. (ces derniers états ont eux-mêmes leurs propres hormones, mais c’est un autre sujet).

En réponse à la question du journaliste Jean-Luc Nothias du Figaro (Jean-Luc Nothias, 20.02.2011. Que se passe-t-il dans le cerveau des amoureux ? Le Figaro), Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, Biologie du couple (Éditions Robert Laffont ) répond : « l’amour chez l’humain n’est guère différent physiquement de ce que l’on peut observer chez l’animal; il s’enrichit, en revanche, de toutes les capacités psychiques et morales de l’espèce. L’animal fait l’amour, mais n’en parle pas; l’humain vit l’amour et le raconte. Le discours amoureux est partie intégrante de l’acte sexuel, que celui-ci soit accompli dans la réalité ou rêvé. L’homme ne fait pas seulement l’amour, il en parle au point que parfois l’acte sexuel disparaît au profit du roman d’amour que vivent les deux amants. Au niveau des régions dévolues au langage et à l’imaginaire, il ne s’agit plus tant alors de molécules chimiques que de mots, le plus beau étant le verbe  »aimer ». »

Et c’est bien pour ce dernier aspect que l’être humain éprouve tant de difficultés à vivre sereinement ses relations : le langage. Car, « qu’il est difficile de s’assurer d’être bien compris et d’avoir su le dire de manière compréhensible ! ». C’est par cette principale porte d’entrée que le couple entre en thérapie, afin, qu’au travers de la parole, naisse une nouvelle histoire plus en accord avec les attentes des conjoints.

Ben, « L’amour c’est des mots », 1958 (collection de l’artiste)

Sébastien Cottet.

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